FRIBOURG PARTNERS – Droit du travail
Pas de protection contre le licenciement en cas d’incapacité de travail limitée à la place de travail
Dans un jugement qui fera date (arrêt du TF 1C_595/2023 du 26 mars 2024), le Tribunal fédéral a marqué un tournant en matière de protection des travailleurs contre le licenciement en cas de maladie en se ralliant à l’opinion des tribunaux de la Suisse alémanique. Lorsqu’un travailleur / une travailleuse (ci-après : travailleur) tombe malade en raison d’un conflit sur le lieu de travail, la protection contre le licenciement est, dans certains cas, supprimée.
Si un travailleur tombe malade sans faute de sa part, il est protégé contre un licenciement pendant un certain temps. La protection est de 30 jours pendant la première année de service, de 90 jours de la deuxième à la cinquième année de service et de 180 jours à partir de la sixième année de service (art. 336c CO). Il convient de souligner que la protection contre le licenciement ne s’applique qu’aux licenciements ordinaires et non aux licenciements avec effet immédiat.
Toutefois, dans le jugement précité, le Tribunal fédéral précise que, dans certaines circonstances, un licenciement ordinaire est possible lorsque l’incapacité de travail est limitée à la place de travail. Dans ce contexte, si une personne souffre d’une atteinte à sa santé du fait d’un conflit survenu sur son lieu de travail (« incapacité de travail limitée à la place de travail »), la période de protection susmentionnée ne s’applique pas si l’atteinte à la santé s’avère si insignifiante qu’elle n’empêche pas la prise d’un nouvel emploi.
Le cas concernait un Officier de carrière (travailleur) exerçant pour l’Armée suisse (employeur). Certaines dissensions étaient apparues entre le travailleur et son employeur du fait d’activités accessoires exercées par le premier. L’Armée suisse avait alors indiqué à l’Officier de carrière qu’elle envisageait de mettre fin au contrat de travail. Quelques jours plus tard, l’Officier de carrière s’était trouvé en incapacité de travail. Les certificats médicaux produits par ses soins indiquaient notamment qu’il souffrait d’un trouble anxieux et dépressif déclenché par des situations problématiques sur son lieu de travail. L’Armée suisse avait alors décidé de le licencier en respectant le délai de résiliation ordinaire, malgré l’incapacité de travail de son travailleur.
De l’avis du travailleur, le licenciement lui a été notifié pendant une période de protection (art. 336c CO).
Le Tribunal fédéral n’est toutefois pas du même avis. Il souligne en effet que la protection du travail contre le licenciement en cas de maladie ne s’applique pas lorsque l’atteinte à la santé est tellement insignifiante qu’elle n’empêche pas le travailleur d’occuper un nouveau poste de travail, ce qui est le cas lorsque l’incapacité de travail est limitée au poste de travail. Est considérée comme « limitée au poste de travail » une maladie ou une absence directement liée à la place de travail. Les conflits tels que le mobbing, le burn-out ou le stress, à condition qu’ils ne se répercutent que sur le poste de travail actuel, sont des exemples typiques de maladies pouvant être directement liées à la place de travail. En l’occurrence, l’incapacité de travail de l’Officier était intimement liée à son poste de travail auprès de l’Armée suisse, comme l’attestent les certificats médicaux. Par conséquent, la période de protection contre le licenciement ne s’appliquait pas et l’Armée suisse pouvait ainsi le licencier, malgré sa maladie.
Ce jugement ne supprime bien évidemment pas la protection contre le licenciement en cas de maladie. En effet, celui qui tombe malade au point de ne pouvoir travailler auprès d’aucun autre employeur continue d’être protégé contre le licenciement pendant les périodes de protection prévues par l’art. 336c CO.
Dans la pratique, le certificat médical établi, qui peut être exigé par l’employeur en cas d’incapacité de travail, est déterminant. Si ce certificat indique qu’une personne pourrait travailler ailleurs, l’employeur a désormais la possibilité de la licencier. Si ce n’est pas le cas, la protection contre le licenciement continue de s’appliquer. L’employeur a toutefois la possibilité de faire contrôler le certificat médical – qui est souvent établi par le médecin de famille traitant – par le biais d’une expertise réalisée par un médecin-conseil indépendant. Si l’expertise révèle que cette personne ne peut pas travailler uniquement à son poste habituel, de sorte que son « incapacité de travail est limitée à sa place de travail », il appartiendra au Tribunal saisi de déterminer lequel des deux certificats médicaux est probant.
À notre avis, la protection des travailleurs contre le licenciement n’est pas affaiblie, contrairement à ce que certains prétendent. En effet, ce jugement confirme la pratique de longue date des tribunaux de Suisse alémanique. Il semble également utile de souligner que cette jurisprudence permettra, en tant qu’employeur, de se défendre contre l’utilisation parfois abusive de certains certificats médicaux rédigés à la hâte. Quant aux travailleurs, ils peuvent continuer de bénéficier d’une forte protection contre le licenciement en cas d’incapacité de travail dépassant le cadre du poste de travail et, en tout état de cause, il sera toujours possible de contester les licenciements abusifs.
Vous avez des questions sur la protection contre le licenciement ou sur le droit du travail en général ? Nos avocat-e-s et notaires sont à votre entière disposition et répondent volontiers à vos questions.
Auteurs :
Elmar Wohlhauser, avocat
Sandro Stucki, avocat
Florence Perroud, avocate
Arrêt du Tribunal fédéral 1C_595/2023 du 26 mars 2024
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